Aujourd’hui, on se retrouve avec un lourd héritage. Des milliers de personnes sont payées à ne rien faire et revendiquent salaires et primes, alors que la situation environnementale et écologique est toujours la même, voire a empiré. Un bilan désolant. Douze ans après leur lancement officiel, le débat autour de la rentabilité de ces sociétés revient avec encore plus d’acuité.
A un moment donné, il est inévitable de briser le silence autour de ce dossier. Cela fait plusieurs années que ces sociétés opèrent dans le flou total, sans que l’Etat ni les différentes parties concernées ne fassent le bilan nécessaire. Alors que leur activité s’apparente au chômage déguisé, voire aux emplois fictifs. Ces sociétés dites de l’environnement et de jardinage posent de nombreux problèmes et ne proposent aucune solution.
Les Sociétés de l’environnement, de plantation et de jardinage (Sepj), créées officiellement en 2011, dans le Bassin minier et dans les zones pétrolifères, dans le but d’acheter la paix sociale et d’éviter les tensions syndicales, ont abouti à une impasse. Aujourd’hui, l’échec est sans appel.
A vrai dire, les prémices remontent à 2008, lorsqu’une profonde crise sociale a frappé le Bassin minier à Gafsa, poussant les autorités d’alors à implémenter des sociétés de ce qu’on appelle la responsabilité sociale des entreprises. Ces sociétés ont la mauvaise réputation d’avoir favorisé des milliers d’emplois fictifs au point que les employés sont payés à ne rien faire. En effet, à l’époque, leur création intervenait dans une logique de préservation de la paix sociale, au moment où les revendications sociales et syndicales explosaient dans les régions intérieures du pays. Pour se débarrasser d’un problème qui risque de provoquer une déflagration, on avait créé des sociétés dites de l’environnement.
Aujourd’hui, on se retrouve avec ce lourd héritage, des milliers de personnes, qui sont payées par les contribuables, revendiquent salaires et primes, alors que la situation environnementale et écologique est toujours la même, voire a empiré. Aucun impact palpable n’est à leur actif. Un bilan désolant. Douze ans après leur lancement officiel, le débat autour de la rentabilité de ces sociétés revient avec encore plus d’acuité.
Acheter la paix sociale
Et tout dans ces pseudo sociétés pose problème : le fonctionnement, le recrutement des agents, leurs missions… Et aucun gouvernement post-révolution n’a osé ouvrir ce dossier. Année après l’autre, le nombre de recrutés augmente. Aujourd’hui, ils sont estimés à 13 mille employés, répartis entre le personnel de gestion et le personnel d’exécution. La société des phosphates de Gafsa détient le plus grand nombre avec un effectif de 8.300, composés à la fois de cadres et d’employés d’exécution, dont environ 6.000 travailleraient pour la société des phosphates de Gafsa.
Le nombre d’agents de la société environnementale de Gabès s’élève, lui, à 2.592. Ils sont répartis entre les hôpitaux régionaux et locaux, les délégations à l’éducation et les centres de jeunesse. A vrai dire, il n’en n’est rien, ce sont des emplois fictifs selon les constats établis par la société civile.
Pour ce qui concerne la loi fondamentale régissant l’activité de ces entreprises, elle est introuvable parce que probablement inexistante. Et, autant le rappeler, leur implémentation était autant précipitée que mal faite. Les aspects financiers bloquent tout accord autour d’une éventuelle loi réglementant cette activité et conférant un statut légal à ses travailleurs. Au bassin minier, les revendications exigeaient des avantages similaires que les employés de la société des phosphates de Gafsa. L’aspect organisationnel inclut la répartition des activités en fonction des besoins de la région et des postes vacants. En réalité, on est toujours au point mort.
Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes), revient sur cette question. Selon lui, c’est l’Etat qui encourage le travail fictif dans ces régions sous haute tension. «Nous avons remarqué que ces individus protestent pour accéder à des postes d’emploi réels et exercer conformément à la loi et à un statut légal. Avec le silence de l’Etat, leur dossier est marginalisé», explique-t-il à La Presse, regrettant la situation actuelle de ces entreprises gangrenées par la corruption, selon ses propos.
Appelant à les activer réellement, Ben Amor estime que l’alternative réside dans un modèle de développement efficace pour la région du Bassin minier et les autres régions défavorisées.
« Cela doit passer par la diversification des activités économiques et technologiques à forte capacité opérationnelle. De plus, il est essentiel de renforcer le tissu économique, en construisant des chaînes de valeur solides, en établissant des liens forts et appropriés entre le système de production et le système de formation et de recherche, ainsi qu’en favorisant la valorisation de ressources propres à ces régions. Pour que le développement soit durable, il est impératif de prendre en compte l’environnement naturel, d’une part, et la justice dans la répartition des richesses entre les régions, les générations et les catégories sociales, d’autre part », plaide-t-il.
Absence de toute culture du travail
D’un point de vue sociologique, Mohamed Jouili, sociologue et directeur de l’Observatoire national de la jeunesse, met en garde contre l’absence de toute culture du travail. «Ces sociétés ont été implémentées dans une conjoncture assez particulière. C’était à l’époque un moyen d’acheter la paix sociale, aujourd’hui elles n’ont plus aucun intérêt. Il suffit de dire que leur impact environnemental est nul. Il s’agit d’un choix douteux fait dans un contexte bien précis. Nous en faisons aujourd’hui les frais, car les conséquences sur le tissu social ne sont pas négligeables, outre le coût économique et financier. Nous sommes en train de renforcer l’absence de toute culture du travail, notamment auprès des jeunes», se désole-t-il.
Il n’en demeure pas moins que ces sociétés dites de l’environnement signent l’échec de l’Etat, à une époque donnée, en matière de politiques de d’employabilité. Maintenant que le mal est fait, tous les observateurs s’accordent sur la nécessité de restructurer lesdites sociétés de l’environnement pour en assurer une meilleure efficience.
De même, il importe de réorganiser le déploiement de leurs agents, d’autant que certaines administrations publiques sont en manque d’effectif». Un autre grand chantier.